Autonomie et rapidité de décision des abeilles, récit...

Pour amateurs d'abeilles et curieux de nature

Lié à des ficelles pour cueille-essaim un récit étonnant touchant aux capacités de choix, d'échanges de décision de ces bio-nano-drones extraordinaires, les abeilles...

Un fil qui dépasse, une ficelle ? Avec une histoire naturaliste au bout. En illustrant une nouvelle page web, avec photos et vidéo d’un essaim entrant dans une nouvelle ruche (une des premières avec un volet d’observation vitré à l’arrière), un regard à la date androïd… Ah ! Mon anniversaire ! Cet essaim, hors les risques et vicissitudes de sa capture avec le cueille-essaim (mais est-ce bien le mot ?) va être plus qu’un cadeau, l'ouverture d'une histoire à détailler.

Depuis des années, personne ne l’ignore, la vie des abeilles devient difficile, beaucoup disparaissent, et dans notre rucher situé dans une clairière de la forêt proche de la maison, les ruches vides sont désormais plus nombreuses que celles peuplées. Alors en avril 2019 nous surveillons de près le rucher – les essaimages peuvent survenir très vite dès qu’il fait beau – pour essayer de récupérer les essaims éventuels et remplacer les pertes de ruches disparues avec l’hiver, pourtant assez doux.
Et ce jour-là, un bruit d’essaimage dans le rucher, plusieurs milliers d’abeilles en vol, alerte Brigitte : de quelle ruche sont-elles en train de partir et où, sur quel arbre à proximité vont-elles se fixer ?
Mais cette nuée d’abeilles n'enfle pas et paraît diminuer sur place au bout d’une dizaine de minutes, près d’une ruche. En fait, elles sont en train d’y entrer. Cette ruche était déjà inhabitée depuis des mois. Encore cinq minutes, et le bourdonnement de cet essaim venu s’établir dans notre rucher, disparait, aussi vite qu’il est arrivé, absorbé dans une ruche, la sienne désormais...

Un enchantement, à côté des stratégies et calculs échafaudés dans les aléas de la récupération d’essaims, parfois très simples ou souvent inaccessibles, ou fugaces, disparus sans laisser de traces, perdus. Très contents, très honorés : pour une fois, sans plus d’effort que comprendre sans troubler ce spectacle insolite, une ruche de plus avec des abeilles en nombre à se plaire dans notre rucher, en y ajoutant de la vie, c’est réconfortant. Au fil des mois la ruche se peuple de plus en plus, des rayons se bâtissent, sans remplir une hausse de miel dans l’été pour autant. Mais elle aborde l’hiver bien parée pour le franchir...

Et au printemps suivant...

Tous les espoirs sont permis de voir dans cette ruche les cadres de hausse se remplir de miel.
Mais, surprise et déconvenue, un tourbillon d’abeilles part sous nos yeux de cette ruche précisément. Un essaim primaire, plus de 15 000 abeilles, qui s’en vont se fixer à plus de 8 m, sous une branche à la cime d’un chêne-vert proche...
Que faire ? À cette hauteur avec plein de branches au milieu, grimper dans l’arbre installer une ruchette n’est plus envisageable, pas plus que trouver un appui stable à une échelle coulissante limitée à 6 m et utiliser le cueille-essaim.

Même depuis cette hauteur, avec l’enchevêtrement des branches, passer est difficile, très imprécis, et dans le cas improbable d’y parvenir, redescendre un cueille-essaim rempli sain et sauf est encore plus incertain... Et il est rare qu’après une capture ratée où les abeilles repartent reconstituer leur essaim sur sa branche pour retrouver la reine manquante, elles acceptent après une deuxième tentative de capture, de rester quand il y a eu déjà quelques victimes écrasées par mégarde, qui les rendent plus méfiantes.

Surtout qu’aller chercher et capturer là-haut, les abeilles d’un essaim qui avait très bien su venir s’établir ici, a quelque chose de gênant, stupide même dans son principe.
Anthropomorphisme peut-être, mais elles savent certainement très bien que toutes sortes de ruches sont libres autour d’elles dans ce rucher...

Perplexes et déçus, il n’y a plus qu’à se résoudre à laisser l’essaim trop haut perché choisir lui-même son destin, essayer de faire bonne figure en venant le voir plusieurs fois dans la journée, tenter quelques manœuvres odorantes de séduction dans l’espoir de la bonne surprise d’un retour vers le sol... aménager plusieurs ruches accueillantes, c’est déjà fait... L’essaim toujours fixé au même endroit, ses éclaireuses – des agents immobiliers – vont explorer les environs pour trouver où s’établir. Le soir, le lendemain, il est toujours là, près du sommet de l’arbre.

Deux jours plus tard, peu avant midi, l’essaim s’agite, se défait sous nos yeux et la nuée d’abeilles s’envole vers l’ouest, mais s'élève juste au-dessus de la cime des arbres. Je le suis de vue puis au bruit, avant de le perdre dans les arbres sans qu’il ait franchi la pente de la colline… Curieux, elles auraient trouvé un endroit où se fixer à moins de 150 m dans la forêt ? Je ne les entends plus, je cherche, trouve l’essaim un peu diminué de volume en train de se fixer sur un autre chêne-vert, pas loin de la maison, mais bien moins haut, pas plus de 5 m.
Là, percevant comme une sorte d’échec des abeilles à trouver une demeure convenable, en fin d’après-midi, sur une échelle presque stable dans les broussailles contre l’arbre, je pense les aider avec le cueille-essaim enfin bien placé. Les y faire chuter est facile, le tout est ramené sans opposition manifeste, et le peu resté encore sur l’arbre suit très rapidement au rucher. L'affaire est dans le sac.

Cueille-essaim, le fil coulisse pour fermer, l'élastique rappelle pour tenir ouvert les arceaux articulés

Destination : une ruche flambant neuve, accueillante, meublée de quelques cadres intéressants avec du miel, une fenêtre vitrée vers l’arrière - obturée évidemment pour le moment. Les éléments du toit de la ruche enlevés, le nœud de la ficelle fermant le fond du cueille-essaim est défait, brèves secousses et l’essaim s’écoule dans la ruche, recouverte rapidement mais avec prévenance, délicatement, sans coincer ni écraser d’abeilles. Quelques centaines ressortent aussitôt par la porte, vérifiant qu’elles ne sont pas enfermées. Entouré d’un petit nuage d’abeilles pas belliqueuses du tout, je mets ensuite le fond du cueille-essaim déposé sur le sol en communication avec l’entrée de la ruche. Il est soutenu avec un morceau de carton faisant tunnel, ménageant ainsi à beaucoup d’abeilles une sortie sans être brusquées ni écrasées, pour rejoindre celles entrées dans la ruche. Beaucoup sont dehors battant le rappel en ventilant sur la planche d’envol, et presque tout le monde est enfin rentré lorsque je les les vois ressortir. Qui a persuadé la reine ou sa cour que l’endroit ne leur convenait pas ?

Gros nuage bourdonnant d’abeilles à nouveau autour de moi, qui les vois se précipiter la minute suivante dans la vieille ruche juste vingt centimètres à côté, complètement vide...

Mais quoi? Trois minutes après leur entrée en nombre dans cette vieille ruche, battant encore le rappel sur la planche de vol, un flot en ressort et s’envole, mais la nuée indécise reste autour, et va se mettre sous la nouvelle ruche, et même entre à nouveau dedans, ce qui prend quelques minutes.
Chance, mon téléphone dans la poche me permet de filmer une courte vidéo de leur seconde entrée dans la ruche neuve, alors que celles qui restaient dans le cueille-essaim, déjà entrées pour la plupart dans la ruche, en étaient même ressorties, avant d’y revenir toutes. Cette fois pour de bon ?
La soirée a avancé, demain est un autre jour, et mieux vaudra s’en assurer le lendemain. Mais non, elles sont bien là.

Les abeilles sont visibles sous la ruche, mais en visionnant la vidéo, avec le mouvement, toute l’histoire m'esr revenue. Et depuis ? Content d’une belle journée mouvementée finie avec deux ruches, une division spontanée sur place, organisée par la ruche elle-même ? Pendant trois semaines, c’est ce qui parait : celles qui ne sont pas parties avec l’essaim, ont, restées dans la ruche, élevé plusieurs reines entretemps : on entendait le soir le chant des reines !

Mais avec une météorologie des semaines suivantes défavorable, froide, venteuse et pluvieuse, la nouvelle reine n’a pas dû ou pu faire le voyage de noces prévu tant attendu, et revenir fécondée prête à pondre ou bien elle s’est perdue dans un retour rendu difficile par les conditions climatiques, et sa ruche a périclité.

Deux mois plus tard, il ne restait plus que quelques abeilles errant, l’air perdu entre des cadres pleins de miel mais déserts et prêts à accueillir un couvain qui n’existait pas.

L’essaim qui avait finalement choisi la ruche neuve s’est, lui, bien développé, aidé en plus par un nourrisseur extérieur, et malgré les frelons asiatiques qui guettent, capturent et déciment les abeilles une à une à la sortie de leur ruche, depuis le mois d’août. Ce qui a fait aussi mûrir la conception, et abouti à la réalisation d’un nouveau modèle de porte de ruche anti-frelons. Il permet de placer un nourrisseur extérieur sans faire courir aux abeilles le risque de voir passer les frelons par l’entrée laissée béante quand le nourrisseur vidé n’est plus en place.

Petits éléments de la vie courante des essaims d’abeilles et des apiculteurs, heureux ou décevants au cours des saisons passées près des abeilles. En compagnie des abeilles ? Entrer dans la proximité d’un partenariat avec ces hyménoptères paraît une prétention bien exorbitante dont il vaudrait mieux ne pas faire état publiquement...

Parti d’un modeste échange sur des ruses pratiques et des ficelles à l’usage d’un cueille-essaim, à l’occasion d’une illustration, des détails dispersés se retrouvent associés au sens d’une histoire imprévue, et bien plus : l’étonnante autonomie de choix, la rapidité de décision, d’échange et l’étendue des capacités d’organisation que les abeilles nous ont laissé entrevoir. Un fabuleux cadeau de la nature, restait à le partager encore.

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