Pure coïncidence? Pas normand, ni tout à fait gascon, étant en Provence, ce renard occitan venu finir régulièrement des restes de pain laissés, ne s'enfuit pas en nous voyant : ayant parié que nous ne voulions pas le chasser, ce goupil est resté partager aussi le plaisir rare d'une rencontre improbable.
Le renard impressionne par la discrétion d'une somptueuse élégance et une attention furtivement inquiète de l'avenir,
pressée par la nécessité de chercher, pour échapper à la faim.
Mais pas de poules aux environs, et heureusement pour elles. Avis aux lapins, lièvres, mulots et campagnols : mieux vaudrait aller ronger l'écorce des jeunes oliviers plus loin...
Un renard qui cherche à manger des raisins, véridique ? Rapportés par Phèdre après Ésope, depuis l'Antiquité le désir et le goût du renard à manger des raisins, comme son insistance pour y parvenir et son échec parfois, restent encore surprenants de fraîcheur mais rarement observés... La discrétion furtive des renards. Le constat de leur exactitude se trouve ici confirmé presque en tous points, avec des photos : le renard, les raisins, la période de l'année, le Sud, la famine, et le même le déni, en un sens. L'âge seul reste douteux.
Début août 2016, dans la forêt provençale sèche et écrasée de chaleur, le renard est revenu se montrer un soir, famélique, efflanqué, affamé, "mourant presque de faim" tel que représenté par La Fontaine... Est-ce bien le même, tant il est maigre, avec sa fourrure d'été pelée, et cet air rajeuni ? Ou est-ce... Pourtant il paraît bien familier des lieux et des chats qui ne montrent ni crainte ni surprise...
Après m'avoir regardé bien en face, à la fois inquiet mais décidé, ce goupil a grimpé sur le muret...
(Utiliser cette photo ?) , Licence
Revenu au sol, à nouveau le museau vers la treille, puis dans la treille...
à se demander ce qu'il cherchait là, avant de voir l'emplacement de la grappe dont les raisins avaient subrepticement disparu la veille... Des raisins oubliés ? En restait-il encore quelques uns, ou d'autres qui auraient mûri entre temps ?
Non, vraiment aucun : trop petits et trop verts, vérification faite avec insistance. Et ce n'étaient pas les geais, très friands de raisins qui les avaient mangés : toutes les grappes mûres au dessus ou en haut de la treille étaient encore intactes. En vérité, il s'agissait de raisins noirs (du "Alfonse Lavallée") alors qu'un pied de "Chasselas" voisin, portant des grappes accessibles mais un peu moins mûres, n'a pas retenu son intérêt.
Alors après quelques signes d'amitié, devant les chats toujours suspicieux et susceptibles sur leur territoire, quelques
tranches de pain sec avec un peu de graisse ont fait disparaître ses inquiétudes sur la nature de notre bienveillance, avant son retour dans la forêt.
Le lendemain, plus rassuré, il était au rendez vous du crépuscule, une heure tranquille tacitement convenue pour manger des restes de pain dur, gras ou
pas, et finir des restes de pastèque... En si bonne conpagnie, un vrai festin, pour lui comme pour nous, sous le regard faussement indifférent des chats.
Après trois jours de ce régime, il est venu gambader et nous offrir le spectacle de ses pointes de vitesse impressionnantes.
Ce renard-là nous compte désormais comme amis, avant de me rendre à l'évidence tout à fait familière, au sens strict :
Un renard comme copain ? Ici s'ajoute le coté fantastique courant dans les fables, d'une succession des coïncidences:
l'étude
de la fable sur "Le Renard et les raisins" du narrateur parue en 2001, plus de quinze ans déjà... La maison de sa
compagne, "La Renardière"
ainsi nommée plus de dix ans avant d'y apercevoir le moindre goupil et qu'elle devienne
le théatre de cette histoire alors que les treilles peinaient à y pousser... Constater la disparition d'une grappe
de raisins bas située, presque par hasard la veille du jour où ce renard famélique est venu me trouver, et me rappeler de
photographier la scène déjà crépusculaire mais encore assez lumineuse, une chance, pour garder ces images touchantes, avec probablement la
toute première photo parue sur le net d'un renard affamé guignant des raisins...
À ce curieux concours de circonstances, on peut se sentir très honoré de participer, tout comme aux bénéfices
de la confiance accordée par la suite.
Par sa demande même, en l'assurant en retour du respect formel d'un code dans la relation excluant toute brusquerie offensive,
ce renard nous offre, avec la possibilité d'y participer, de poursuivre aussi la vie de la fable.
Il y a bien trop de plaisir dans cette rencontre inattendue en apparence, à souscrire à cette demande d'aide et d'en
partager la réussite, pour se cacher l'intérêt de l'offre qui nous est faite.
Pas seulement avec la vérification ou la preuve vivante de l'actualité de la fable déjà connue, dans la répétition de presque tout
son déroulement, mais en choisissant d'adresser directement son regard au spectateur aussi témoin, le renard le
convie à être moins absent de l'action que précédemment, et lui
offre la possibilité de rapporter une autre fable, apparentée mais différente dans sa morale, courageuse, ouverte à plus de risques, à de
meilleures fins aussi; et non moins actuelle. à défaut d'être entièrement nouvelle.
Préliminaires, ces observations ne méritent cette qualité que suivies par une nouvelle fable... à écrire, nommer, mettre en page, et finalement
à signer.
Et pour arriver à être à la hauteur du présent du renard, apparaissent les aléas de l'entreprise : être pris
aussi dans la fable, et mis à l'épreuve pour en sortir, de l'écrire, ce qui ne resterait qu'affabulation sans la caution de son existence.
Avec les révérences d'usage à son assistance pour la forme au plus célèbre exemple, en acceptant de tourner la page, et
de laisser derrière les réflexions échafaudées, voici la fable "Le Renard, les raisins et l'inconnu".
Arriver à mon tour à livrer présentement présentable le présent du renard, sans trop demander à votre indulgence !
Le renard nous aide à retrouver le sens de la fable, rafraîchi : elle reste surprenante, vivante et proche, en continuant de s'affranchir
ainsi de son époque et du temps avec une morale pratique, nouvelle et intemporelle, entendue ainsi :
Qui n'arrive plus à s'en sortir tout seul, à tout âge, en sachant se rendre sympathique et capable de dépasser ses craintes à s'ouvrir
de ses difficultés, peut encore aller vers un autre susceptible de l'aider, aux risques des bénéfices de la vie.
La mèche est vendue depuis des siècles, et même plus : la fable désigne un outil littéraire compact affûté au carbure de poésie pour mettre au jour et faire passer à travers toutes les barrières entre les hommes et les animaux, leurs histoires communes et les morales pratiques à en tirer. Pas facile à faire, à l'évidence.
Avec une observation animale inattendue de ce réputé carnassier affairé à manger des fruits, changement de régime
qui rapproche encore des hommes, un récit bien parti de la réalité vers la fantaisie, traverse la barrière des espèces pour
relater des émotions partagées à travers le langage au delà des auteurs, des langues, des pays et des époques en ouvrant
les frontières d'un espace-temps jusqu'aux limites de la culture, avec des préceptes communs de morale renforcés par l'étendue de leur diffusion.
Avec l'espoir de concourir à la protection des renards vivant aujourd'hui, encore considérés comme nuisibles et pourchassés à ce titre.
Le mot de la fin ? Remis à plus tard : nouveau rebondissement, deux semaines après, à la mi-août, comment le même renard peut être apparu sans erreur au même moment des deux cotés de la maison ?
Moment de trouble, passé en voyant les deux à la fois le surlendemain, le deuxième renard sorti du bois apportant quelques lumières avec lui.
Oui, c'est un renard, un poil plus roux ébouriffé genre peluche, plus pataud, plus petit, moins maigre,
moins délié, plus farouche... Pas un renardeau, plutôt un "renard-ado" :
Un fils probablement, elle le tenait caché tout près, puis nous l'a envoyé plus qu'amené après s'être assurée du
risque réduit à l'endroit des restes de nos menus, et de notre compréhension de sa détresse.
Obligés de nous absenter une quinzaine, quelques provisions solides avaient étées disposées pour elle, mais comment savoir au retour si un sanglier ne les avait pas découvertes avant et dévorées ? Après notre retour, elle n'a plus réapparu, ni laissé de traces probantes.
Elle, c'est une renarde,
une délicatesse féminine
en mouvement, dans ses déplacements, avec ses grandes oreilles et son museau pointu, accentués par sa maigreur émaciée sans en être
l'unique origine. Elle n'y arrivait plus, après l'avoir nourri, à trouver encore de la nourriture pour deux... Et là, si elle ne
s'en sortait pas, il ne s'en sortirait pas non plus, pas encore... Alors, un choix qui peut être le dernier, dans un tel état de
faiblesse, une grande décision : à qui demander de l'aide ? Par chance, son flair et sa perpicacité ne l'avaient pas trompée, elle n'en
doutait plus maintenant, légère et fière en trottinant pour lui ramener un morceau de pain frotté de graisse : trop rapide, son retour, pour avoir
eu le temps de manger ce croûton... Elle pouvait aussi se poser un moment, tranquille, pas loin des chats... et sur internet déjà. La faim ne la pressait plus, enfin.
Mais plus d'une année après, un soir d'hiver, un beau renard adulte est passé devant le muret avec un regard à travers la vitre de la porte, et s'en est allé rapidement. Des mois plus tard, il y avait des crottes de renard tout près de la maison, et un aussi beau renard assez ressemblant au précédent et averti de notre présence, traverse cette fois très tranquillement, avant d'aller s'asseoir lustrer sa fourrure en plein milieu du chemin, comme un familier des lieux revenu se montrer, avant de s'en aller sans la moindre inquiétude.
Mais sans plus de manifestations prouvant qu'il s'agissait du fils de cette renarde inoubliable.